21 octobre 2011, London Heathrow. Un arc en ciel posé dans la zone de contrôle sécurité de l'aéroport; tel une ludification d'un espace software-sorted.
Dans son ouvrage célébre "Non-lieux, introduction à une anthropologie de la surmodernité” (La Librairie du XXe siècle, Seuil, 1992), l’anthropologue Marc Augé développait la notion de non-lieu. Celle-ci fait référence aux aéroports, autoroutes, centre commerciaux ou supermarchés, qui, dans une perspective anthropologique des sociétés contemporaines, renvoie à “un espace qui ne peut se définir ni comme identitaire, ni comme relationnel, ni comme historique."
Dans un entretien avec Thierry Paquot (Conversations sur la ville et l’urbain (2008), Augé précise sa pensée, souhaitant revenir sur les incompréhensions multiples que cette notion a suscité (voir notamment):
“Pour moi le lieu était le lieu ‘anthropologique’, qui est un espace à travers lequel on peut lire l’organisation sociale, c’est à dire la constitution symbolique des liens sociaux. Les villages africains étaient absolument exemplaires de ce point de vue puisque l'on y est assigné à résidence : si un homme habite là, c’est qu’il appartient à telle filiation, qu’il est allié avec un untel, etc. Le revers, ou l’avers, de cette contrainte énorme est qu’à la vue de l’organisation de l’espace, on lit le social. […] Le comble du lieu est un lieu gorgé de sens où l’espace signifie tellement que l’on ne peut pas se déplacer impunément, on doit se tenir à sa place au sens figuré et au sens littéral. D’une certaine façon, à l’autre bout, le non-lieu correspondrait à la solution absolue, au moins au sens où certains espaces d’eux-mêmes n’impliquent aucune relation sociale qui codifie des comportements. Il peut y avoir 50 000 personnes dans un aéroport, elles n’ont aucune obligation de tisser quelque lien que ce soit les unes avec les autres. […] L’autre équivoque à lever, c’est que je n’ai pas dit que le non-lieu était mal et que le lieu était bien. Plus que sur la qualité, on doit s’interroger sur le fait que tous ces non-lieux prennent sens à l’échelle mondiale et que pour autant nous n’avons pas eu d’humanité/société qui corresponde à ce type d’organisation, parce que ce type d’organisation spatiale ne définit pas un espace public au sens où d’un espace où se forme l’opinion publique.”
Dans cet extrait, on voit Augé défendre son propos, et discuter les implications de cette notion. Il s'appuie sur son expérience anthropologique, mais le fait de manière vague. Le terme "le village africain" sonne étonnement vague dans ce contexte, ou alors il faut imaginer une référence à un de ses travaux antérieurs que l'on imagine plus précis. Mais ce qui me gêne le plus à la lecture de cet extrait c'est ce "certains espaces d’eux-mêmes n’impliquent aucune relation sociale qui codifie des comportements". La première photographie plus haut renvoie justement à une situation d'un non-lieu Augé-en/augé-esque... qui pour le coup est clairement un espace dans lequel un certain type de relation social est hautement codifié à la fois par des normes (la lecture du site de IATA est convaincante à ce sujet) ou des objets techniques.
A une époque où le fonctionnement de la société semble justement proche de celui d'un aéroport, il parait difficile d'affirmer que "nous n’avons pas eu d’humanité/société qui corresponde à ce type d’organisation." Un texte tel que "Software and the mundane management of air travel" des géographes anglais Rob Kitchin et Martin Dodge est justement une bonne entrée en matière à cet égard.