Que voit-on sur ces photographies ? Des corps courbés, des micro-gestes, des utilisations du smartphone (composition de SMS, communication audio, consultation de messages), des mouvements plus ou moins précis… tout un ensemble d’observations qui interroge les formes d’interaction entre corps et technique.
Pour avancer là-dessus, on pourrait en premier lieu aborder le sujet en produisant une sociologie descriptive. En décrivant les gestes de manipulation du mobile, les "mises en jeu du corps", l’inscription spatiale de l’objet technique, les "ajustements mutuels”, le “couplage” comme disent certains, les "habiletés techniques”. On regarderait ainsi la prise en compte du caractère incarné des usages du smartphone sans plus de questionnement, pour mettre à jour des gestes courants, des postures typiques, des mouvements que l’on voit se reproduire couramment; pour décrire précisément le ballet gestuel lié au téléphone, du sac à l’oreille, de la poche à la table; saisir la diversité des objets liés au téléphone (du casque à la pochette de protection, à – qui sait – la smartwatch). Sans plus problématiser les choses, on se rendrait ici compte de la complexité des manières de faire et de la multiplicité des petites tactiques personnelles (mettre ici une référence à Michel de Certeau) pour s’approprier l’objet. En abordant le smartphone par ses gestes, en produisant de telles descriptions, on se rendrait vite compte que derrière chacuns se cachent des questions plus large.
Du coup, on pourrait adopter un point de vue sociologique standard en cherchant à expliquer les diverses figures gestuelles rencontrées à partir de variables socio-démographiques classiques (âge, sexe, profession, revenu, habitat, taille de la famille). Est-ce les différentes classes sociales ont la même gestuelle ? Fait-on autant de selfie suivant le lieu où le type d’environnement dans lequel on réside ? Et l’on se demanderait si la distinction théorisée par Bourdieu se retrouve dans la manière de tenir son smartphone, de le sortir en public ou d’utiliser son kit main-libre… On pourrait aussi aussi poser la question du genre et questionner ces habitudes en fonction de cette dimension.
Mais une autre façon d’approfondir pourrait consister à revenir à l’un des thèmes fétiches de la sociologie des techniques: celle du lien entre l’humain et la technique. Est-ce le smartphone – en tant qu’objet technique – qui entraine ou prédétermine ces gestes ? Ou, à l’inverse, est-ce que ceux-ci ne font que refléter les modalités d’appropriation du dispositif ? Quels sont les ressorts de ces gestes ? Que nous disent-il de notre rapport à la technique ? C’est sur cette dernière approche que je me penche en ce moment, pour faire suite au projet Curious Rituals effectué il y a deux ans.